25/03/2011

La Belgique est-elle « une Suisse qui ne réussit pas »?

Ce texte est la conclusion d'un voyage d'études effectué en Belgique par un groupe de boursiers Binding de la Fondation suisse d'études (mars 2011). Un grand merci aux auteurs et organisateurs: Léonard Graf, Corina Helfenstein, Lukas Etter. (Rapport complet: ici).

Clarifions tout d'abord ce que signifie « qui ne réussit pas »: toutes les personnes s’accordent pour dire que la scission du pays est improbable, voire impossible. Non seulement à cause de la dette commune mais aussi à cause de Bruxelles, à laquelle aucune des deux parties ne peut renoncer. Aussi bien les spécialistes flamands que ceux wallons considèrent que l’idée de scission est une vielle histoire racontée par les politiciens et les médias qui n’a pas réellement de fondement populaire (en effet, les groupes linguistiques ne se connaissent à peine). Si les nationalistes flamands obtiennent un nombre de voix important, il faut imputer cela principalement à un vote protestataire qui veut voir l'Etat se réformer et non pas se fissionner. Les contacts avec la population confirment cette impression: à peine arrivés en Belgique, nous avons croisé par hasard un monsieur qui anime un groupe intitulé la « Grande Alliance Belgo-Suisse » – de la façon la plus naturelle du monde il a répondu à nos interrogations qu'il était bruxellois et qu'il parlait donc aussi bien le français que le néerlandais. La Belgique est indéniablement secouée par des problèmes institutionnels graves (l’absence de gouvernement légitime en est un), mais la scission ne semble pas être un scénario réaliste.

La situation en Belgique se distingue en de nombreux points de la situation suisse: le manque de ‘clivage entrecroisé’ (cross-cutting cleavage) qui rend la question linguistique si virulente, est souvent mentionné. En effet, son corollaire, le fédéralisme à deux qui semble être un problème central du malaise belge n'est évidemment pas applicable à la Suisse. Le poids de l'histoire est très différent: ici, un pays qui s'est constitué de l'intérieur avec une relative autonomie remontant à plusieurs siècles; là, un pays qui a été sous domination étrangère jusqu'il y a 180 ans. Dans la jeune Confédération de 1848, les élites suisse-allemandes décident librement de parler français tout en insistant dès le début sur le trilinguisme de la Suisse. En Belgique, le français est imposé comme seule et unique langue nationale. Ce sont là des différences indéniables; si nous pouvons les constater, nous ne pouvons rien y changer.

Au moins deux leçons concrètes nous restent de notre voyage d'études en Belgique: premièrement, la présence de partis liés à une langue peut menacer la cohésion du pays. Est-ce un hasard que le Röstigraben connut ses plus beaux jours à une époque où l'UDC n'existait qu'en Suisse alémanique? Tant que notre système politique reste celui qu'il est, un parti a un intérêt à s'étendre dans toutes les régions linguistiques, mais des réformes éventuelles doivent être réalisées en conscience du risque venant des partis régionaux.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas nous contenter de co-exister avec une autre communauté linguistique à l'intérieur des mêmes frontières; si l'on ne fait pas l'effort de connaître ceux avec lesquels on partage un territoire, un gouvernement, un pays, il y a un risque que l'incompréhension mutuelle prenne le dessus. Si, pour utiliser le terme du professeur Dieter Freiburghaus, le « benign neglect » de la question linguistique est à la base de la cohésion suisse (et nos observations en Belgique nous ont confirmé qu’il n’avait peut-être pas entièrement tort), il faut s'efforcer à ne pas étendre cette négligence bienveillante aux personnes qui parlent les autres langues nationales.

La Suisse ne dispose pas d’une capitale comme Bruxelles qui rendrait une scission du pays impossible; ici plus qu'ailleurs vaut ce qu’Ernest Renan disait à propos de la Nation: elle doit être "un plébiscite de tous les jours", elle exige un travail inlassable à son identité. A quoi tiendra donc la cohésion nationale de la Suisse dans dix, vingt, ou quarante ans? La leçon que nous donne la Belgique est la suivante: si nous voulons réellement vivre ensemble, si nous voulons que l’Idée Suisse ait un sens, une raison d'être, il est indispensable de contribuer avec ouverture et curiosité à la diversité et à la compréhension mutuelle dans notre pays.

Hier findet sich der vollständige Bericht der Studienreise der Binding-Stipendiaten der Schweizerischen Studienstiftung nach Belgien: cliquer ici.


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