26/02/2010

Äxgüsi, Monsieur MacShane, il faut poutzer.


Vous avez peut-être lu dans Newsweek la diatribe de Denis MacShane, publiée sous le titre "The End of Switzerland" (cliquer ici). L'ancien ministre aux affaires européennes du gouvernement Blair a travaillé pendant plus de 12 ans à Genève, dans les années 70-80 plus ou moins. Par la "fin" de la Suisse, il semble vouloir dire que finalement la Suisse a été débarrassée de ses mythes (ailleurs il - ou l'éditeur de son journal - parle de "death of Switzerland"): chez nous, les trains arriveraient aussi en retard, sales comme dans les banlieues de Paris et Londres, et les autoroutes suisses seraient aussi pleines de trous. McShane nous suggère qu'il n'y a de salut pour la Suisse qu'au sein de l'Union européenne. Il taxe nos politiciens de provinciaux; les partis seraient faibles à l'exception d'un seul, xénophobe.

En même temps, MacShane souligne les succès de la Suisse: secteurs industriels de pointe, peu de chômage, faible récession. On entend percer entre les lignes un brin de nostalgie: ah, qu'ils étaient beaux, les temps où, en Suisse, tous les mythes étaient encore intacts et où les Suisses n'avaient pas encore droit à la saleté. On dirait que MacShane est plus attaché à l'image de Suisse miniature de contes de fées que les Suisses eux-mêmes, habitués mieux que certains Européens à la réalité chaotique sale et stressante du monde moderne de la mondialisation. Les vagues d'immigration d'élite semblent plutôt prouver qu'en Suisse, il fait bon participer aux avantages de la globalisation – dont celle européenne n’est qu’une variante.

On peut débattre de bien de questions soulevées à tort ou à raison par MacShane - initiative anti-minarets, secret bancaire, adhésion à l'UE ou non - mais dans le cadre limité de ce blog destiné à la diversité culturelle en Suisse et aux échanges entre les régions du pays, il y a un point de MacShane qui demande une rectification: MacShane déplore que les Suisse n'apprennent plus les autres langues nationales, se contentant de l'anglais, et il déplore l'avancée du dialecte suisse alémanique dans les médias. Le premier point est tout simplement faux: le multilinguisme n'a jamais été aussi développé en Suisse qu'aujourd'hui. Voyez certains de nos meilleurs sportifs, Didier Cuche ou Roger Federer... ils sont jeunes, ce ne sont pas des intellectuels, et ils sont multilingues.

Et quant au dialecte dans les médias, il faut se demander pourquoi un ancien ministre des affaires européennes comme MacShane s'insurge contre l'Europe des régions, car les dialectes sont des langues régionales que chacun devrait avoir le droit de pratiquer librement autant qu'il veut. Il existe des émissions en patois fribourgeois à la radio - c'est normal en Suisse.

Et pour finir, je vous donne ici un petit fait historique bien anodin: les dialectes avant leur codification et standardisation ont toujours été plus accueillants par rapport aux autres langues et cultures que les grandes langues nationales une fois que celles-ci ont été standardisées comme telles: ainsi, en dialecte suisse alémanique, au lieu de dire "Entschuldigung", on dit souvent "Äxgüsi", ce qui vient du français "excusez". On ne dit pas seulement "Danke", on dit aussi "Mässi" (merci!). De la même manière, le français colloquial de Suisse romande est pétri d'expressions alémaniques comme "poutzer" (nettoyer), ce qui vient du Suisse alémanique "putzen". En Allemagne, on dirait plutôt "reinigen".

Nous retombons encore une fois sur le thème de la propreté: il est étonnant qu'à la fois dans le parler de la Suisse romande et dans celui de la Suisse alémanique, les expressions ayant trait à la politesse et à la propreté ne soient pas du français et de l'allemand "propre", mais justement des mots étrangers, impropres à la propre langue, adoptés facilement et avec une hospitalité exemplaire par le dialecte ou le parler régional local! Encore une fois: c’est dans les dialectes que les principes d’hospitalité linguistique à proprement parler universels se manifestent le mieux, à l’état pur, librement. L’universel passe par le particulier. Dans la mesure où la Suisse voudra soigner son héritage dialectal, ce sera non pas contre les langues nationales, mais dans l’esprit même de l’hospitalité interculturelle dont profitera tout type d’idiome autre que maternel.

Siehe den Interessanten Wikipedia-Artikel zu MacShane: http://en.wikipedia.org/wiki/Denis_MacShane

Aucun commentaire: