01/09/2011

Que reste-t-il de la séparation des races ?

Par la suite, vous trouverez le compte rendu d'un séminaire qu'organisa la Fondation suisse d'études au sujet de la transposition au cinéma du roman de C.-F. Ramuz, La Séparation des races (1922), dans le film Rapt (1934) de Dimitri Kirsanoff. Je vous rappelle le contexte du roman : pour se venger (semble-t-il) des Bernois qui venaient paître sur le versant valaisan de la montagne qui sépare les cultures (protestante et catholique, germanophone et francophone), un Valaisan décide d'enlever une belle Bernoise et de l'enfermer chez soi dans son village, pour essayer de la charmer pour de bon. Le tout se terminera dans une catastrophe. Il faut savoir que Ramuz écrit son livre en 1922, dans un climat empoisonné par le conflit du Röstigraben, qui était né pendant la Première Guerre mondiale à cause des sympathies politiques opposées entre francophones et germanophones en Suisse. Comme vous l'expliquera Marion, le contexte dans lequel le film est tourné en 1934 n'est plus celui de 1922 :
Le protagoniste de RAPT (Kirsanoff, 1934)
"Le 9 août, l'objet principal du séminaire du professeur Alain Boillat de l'Université de Lausanne était l'introduction des outils techniques utilisés dans l'analyse cinémato-graphique qui allaient être indispensables pour la suite. Monsieur Boillat nous a tout d'abord sensibilisés à la multitude de significations de la notion de "point de vue" dans un contexte de cinéma. Au-delà de la position de la caméra - qui constitue un point de vue au sens propre du terme - s'ajoutent le point de vue narratologique et la réflexivité qui renvoie à la représentation en tant que telle. Le point de vue narratologique, connu de la littérature, se caractérise avant tout par les notions de degré de savoir et de degré de perception : il existe différents moyens pour communiquer un savoir au sein d'un film. La perception mise en scène en est un  (voir l'expression sournoise du protagoniste sur la photo qui exprime une hostilité face à l'objet regardé); la formulation du savoir à travers le dialogue en est un autre. La réflexivité est un instrument pour le cinéaste. Elle lui permet de jouer avec ce que l'on pourrait appeler des degrés de transparence : un film peut s'afficher en tant que film (en renforçant les traces de l'intervention d'un auteur personnage) ou il peut maintenir un degré de fictionalité important en rendant invisible toute trace du réalisateur.

Une fois établi un vocabulaire cinématographique, nous avons eu l'occasion de mettre en œuvre le langage acquis pour l'analyse de Rapt : une mise en film du livre La Séparation des races de Charles Ferdinand Ramuz. Devenu visible dans le monde francophone, Ramuz commence dans les années 1920 à attirer les producteurs de film de langue française. C'est Dimitri Kirsanoff, membre de l'avant-garde russe/française, qui obtient en 1934 le droit de réaliser Rapt sur la base de La séparation des Races de Ramuz. Les traces de l'avant-garde dans son film sont spectaculaires : au niveau sonore, le spectateur est irrité à plusieurs reprises par des sons qui sont véritablement plaqués sur l'image. Ces sons - que l'on distingue immédiatement comme étant artificiels - confèrent au film une dimension supplémentaire en rendant transparent le travail du cinéaste. Le film renvoie ainsi à soi-même en tant qu’œuvre artistique. Au niveau visuel, l'art de Kirsanoff se manifeste en particulier dans la rupture comme principe esthétique : un montage abrupte, une multitude d'ellipses  et des faux raccords créent une logique narrative bien particulière et soulignent encore une fois l'artificialité du spectacle qui se déroule.
Sur le plan de l'action, par contre, le film montre bien les traces de son temps. Deux ans après la prise de pouvoir par les national-socialistes en Allemagne, la mise en film d'un conflit racial était hautement problématique. En conséquent, Kirsanoff enlève au conflit décrit par Ramuz toute dimension sociétaire et place l'action sur le plan de l'individuel et des faits particuliers.
Le texte est dû à Marion Hämmerli (merci de nous l'avoir communiqué !).

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